Travailler occupe la majeure partie de notre journée. Bien que les métiers, les règles de sécurité et les pratiques aient beaucoup évolué, le lieu de travail demeure une source non négligeable d’accident corporel.

Accident du travail

L'indemnisation des victimes d'accident du travail est régie par un texte ancien hérité de la Révolution Industrielle. Il instaure au profit des salariés un régime spécifique de responsabilité sans faute et forfaitaire.

La Loi du 9 Avril 1898 protège les salariés victimes quelle que soit la cause de l'accident. Elle présente cependant aujourd'hui des limites. Selon une croyance courante, la prise en charge d'un accident de travail serait plus avantageuse qu'un accident de vie privée. Si cela est vrai dans certains cas, la réalité est très différente au regard du principe de réparation intégrale. Voici un tour d'horizon des hypothèses rencontrées et de l'indemnisation prévue pour chaque situation.

Accident du travail sans tiers responsable

La législation des accidents du travail présente l'immense avantage de prévoir un régime d'indemnisation sans faute applicable pour tous les salariés qui se blessent sur leur lieu de travail. La victime dispose ainsi d'un droit à indemnisation même en l'absence de tiers responsable. C'est la sécurité sociale qui prend en charge les conséquences de l'accident selon un processus spécifique.

La reconnaissance de l'accident du travail

L'article L411-1 du code de la sécurité sociale instaure une présomption : l'accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail est considéré comme un accident du travail. Et ce, quelle qu'en soit la cause. Lorsqu'un salarié se blesse dans le cadre de son travail, il sera a priori pris en charge au titre de la législation sur les accidents du travail. L'indemnisation n'est toutefois pas automatique. Le salarié doit en effet rapporter la preuve que l'accident s'est produit sur son lieu de travail et aux horaires de travail. La preuve peut être rapportée par tout moyen notamment par des témoignages de collègues. En pratique, mieux vaut immédiatement :

  • Faire constater l'accident par son supérieur hiérarchique
  • Déclarer l'accident à son employeur
  • Consulter un médecin

Le caractère professionnel de l'accident et sa prise en charge au titre de la législation sur les accidents du travail sont confirmés par une notification de la Caisse d'Assurance Maladie. En cas de désaccord, une procédure de contestation amiable est prévue. Si le litige persiste, c'est le Pôle Social du Tribunal de Grande Instance qui doit trancher.

L'indemnisation forfaitaire

Une fois informé de l'accident du travail, l'employeur doit adresser un certain nombre d'éléments à la caisse d'assurance maladie qui procède à l'indemnisation. Le salarié affilié au régime général de la sécurité sociale (CPAM) bénéficie d'une prise en charge spécifique aux accidents du travail plus favorable que le régime maladie.

  • Remboursement à 100% des frais médicaux en lien avec l'accident
  • Suppression du délai de carence pour le versement des indemnités journalières
  • Versement d'une indemnité journalière équivalente à 80% du salaire journalier de base à partir du 29e jour d'arrêt de travail (60% les 28 premiers jours)
  • En cas d'invalidité, versement d'un capital forfaitaire (si l'incapacité permanente est inférieure ou égale à 10%) ou d'une rente calculée en fonction du taux d'incapacité et du salaire de référence
  • Versement d'une prestation complémentaire forfaitaire en cas de recours à une tierce personne pour les victimes dont le taux d'incapacité est supérieur à 80% et qui se trouvent dans l'incapacité d'effectuer au moins trois actes ordinaires de la vie

Les salariés affiliés à des régimes spéciaux (agents SNCF, ex-EDF…) et les fonctionnaires bénéficient également d'un régime spécifique pour les accidents du travail, plus favorable que le régime maladie. Une bonne connaissance des dispositions applicables et des voies de recours possibles en cas de contestation est nécessaire pour faire valoir vos droits dans de bonnes conditions.

Enfin, les professions indépendantes ne bénéficient pas d'une indemnisation spécifique en cas d'accident du travail au titre de leur régime de sécurité sociale de base. La couverture du risque accident du travail relève donc d'une démarche d'adhésion ou de souscription volontaire.

Accident du travail causé par un tiers

L'accident survenu dans le cadre du travail peut dans certains cas donner lieu à recours contre un tiers lorsque celui-ci est étranger à l'entreprise. Les blessures peuvent en effet avoir été provoquées par la faute d'un client, d'un fournisseur, d'un passant ou encore par un objet ou un animal placé sous la garde de celui-ci. Tel est le cas par exemple des facteurs, victimes de morsures de chien lors de la livraison d'un colis.

Le cas le plus fréquent est celui de l'accident de la route survenu sur le trajet entre le domicile et le lieu de travail. Lorsqu'il est établi que le salarié a été blessé au cours de son trajet habituel et à l'heure de sortie de son travail, il bénéficie à la fois :

  • Du régime spécifique des accidents du travail pour la prise en charge de ses frais médicaux, des indemnités journalières, et de l'éventuelle invalidité
  • De la réparation intégrale de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux à la charge du responsable ou de son assureur selon le droit à indemnisation apprécié à la lumière de la Loi Badinter

Les deux sources d'indemnisation ne se cumulent pas car les prestations servies par la caisse d'assurance maladie sont déduites pour le calcul des postes de préjudice qu'elles sont censées compenser. Il faut savoir qu'en cas de responsabilité d'un tiers, la caisse d'assurance maladie dispose d'un recours contre celui-ci ou son assureur pour recouvrer les sommes qu'elle a versées à la victime.

Cas particulier : la faute inexcusable de l'employeur

La législation sur les accidents du travail semble instaurer un régime d'indemnisation globalement plus favorable aux victimes que celui applicable dans le cadre de la vie privée. Mais qu'en est-il lorsque l'accident est imputable non pas à un tiers mais à l'employeur ? La jurisprudence considère que l'employeur est tenu, vis-à-vis de ses salariés, d'une obligation de sécurité qui s'analyse comme une obligation de résultat. Tout manquement de sa part à l'origine d'un accident engage donc sa responsabilité.

Définition de la faute inexcusable de l'employeur

Il n'existe pas de définition légale de la faute inexcusable de l'employeur. Les tribunaux considèrent que l'employeur n'a pas respecté son obligation de sécurité lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver.

La faute est appréciée par rapport au comportement moyen d'un employeur placé dans la même situation. Il est évident que la preuve d'un manquement est plus facile à rapporter lorsque la carence de l'employeur constitue une violation des règles de sécurité édictées par le code du travail. Ou si elle avait déjà été signalée par les salariés voire l'inspection du travail.

Pour autant, la faute inexcusable telle que définie par les tribunaux ne constitue pas une faute caractérisée qui reposerait sur une liste de critères précis. L'appréciation doit être réalisée au cas par cas. De même, il n'est pas nécessaire qu'elle ait joué un rôle prépondérant dans la survenance de l'accident. Il suffit de démontrer que l'accident aurait pu être anticipé et évité avec des mesures adéquates.

Cette définition assez large est susceptible de s'appliquer à un grand nombre d'hypothèses. Pourtant, la caisse d'assurance maladie est rarement saisie de demandes en ce sens. Cet état de fait s'explique certainement par la relation particulière liant un salarié à son employeur. Ainsi qu'à une méconnaissance du mécanisme de part et d'autre.

Il faut dire que le terme de « faute inexcusable » est particulièrement fort. Il n'incite pas l'employeur à reconnaître sa responsabilité dans la survenance de l'accident. En cas d'accident du travail, n'hésitez pas à vous adresser à un professionnel du droit. Il saura vous éclairer sur les possibilités de recours. Il engagera aussi un dialogue avec l'employeur.

La reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur

La faute inexcusable peut être établie par tout moyen de preuve : constat sur les lieux de l'accident, témoignages… Dans certains cas, une instruction peut être diligentée par l'inspection du travail et/ou les services de police. Il s'agit d'éléments de preuve supplémentaires et non de préalables obligatoires. L'appréciation de la responsabilité de l'employeur repose sur un mécanisme distinct de la logique applicable en matière de droit du travail ou de droit pénal. Ne vous découragez donc pas si l'enquête ne débouche pas sur une condamnation administrative ou judiciaire de l'employeur.

La demande de reconnaissance de faute inexcusable doit être portée devant la caisse d'assurance maladie. C'est elle qui prend en charge l'accident du travail. Soit l'employeur reconnaît spontanément sa responsabilité, ce qui est relativement rare, soit la caisse tente une conciliation entre les parties.

Si la réunion de conciliation débouche sur un accord, un protocole est signé entre le salarié et l'employeur. Sinon, le salarié doit saisir le Tribunal pour faire reconnaître la faute inexcusable de l'employeur. C'est le Pôle social du Tribunal de Grande Instance qui est compétent en la matière.

Attention, le délai pour agir est très bref. La victime dispose d'un délai de deux ans à compter de la notification de la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident pour saisir la caisse.

La faute de la victime ne peut pas exonérer l'employeur de sa responsabilité. Sauf si elle a commis elle-même une faute inexcusable. Celle-ci est définie comme une faute volontaire du salarié. D'une exceptionnelle gravité, elle l'aurait exposé sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

Quelle indemnisation espérer ?

Lorsque l'accident du travail est dû à une faute inexcusable de l'employeur, la victime a droit à une indemnisation complémentaire. C'est l'application de l'article L452-1 du code de la sécurité sociale. Cette indemnisation est fixée de façon précise par ce texte. La victime peut ainsi prétendre à plusieurs versements.

  1. Majoration du capital (ou de la rente) versé par la caisse d'assurance maladie en cas d'invalidité
  2. Indemnité forfaitaire versée par l'employeur en cas d'invalidité à 100%
  3. Indemnité versée par l'employeur au titre de certains préjudices personnels, limitativement énumérés par l'article L452-3 du code de la sécurité sociale

En cas de faute inexcusable de l'employeur, l'indemnisation de la victime est régie par des règles strictes. Celles-ci ne lui permettent pas de bénéficier d'une réparation intégrale puisque seuls certains postes de préjudice peuvent être compensés. La jurisprudence est venue élargir sensiblement le nombre de postes entrant dans le champ d'application de l'article L452-3 du code de la sécurité sociale. Pour autant, certains postes de préjudices patrimoniaux demeurent exclus alors qu'ils représentent une perte financière importante pour la victime.

L'employeur supporte :

  • Le surcoût lié à la majoration de capital ou rente qui lui est réclamé par la caisse d'assurance maladie
  • Le montant de l'indemnité complémentaire versée à la victime (indemnité forfaitaire, postes de préjudices personnels)

L'employeur peut s'assurer contre ce risque en souscrivant une garantie spécifique proposée dans des contrats d'assurance type « responsabilité civile exploitation ». Il s'agit d'une assurance facultative mais qu'il est fortement recommandé de souscrire. À défaut, l'entreprise doit en effet payer les indemnités sur ses propres deniers.

Les inconvénients du système actuel

La législation sur les accidents du travail a été instaurée à la fin du 19e siècle. Le régime d'indemnisation représentait alors une avancée considérable sur le plan social. La Loi du 9 Avril 1898 était en effet très innovante à l'époque. Mais elle a été peu adaptée au fil du temps. Du coup, ce modèle apparaît aujourd'hui dépassé. Les règles applicables en matière de faute inexcusable de l'employeur créent en effet une catégorie de victimes à part, moins bien indemnisées que les victimes disposant d'un recours classique contre un tiers.

Les préjudices patrimoniaux qui sont considérés comme indemnisés dans le cadre de la législation sur les accidents du travail, comme les pertes de gains futurs ou l'assistance par une tierce personne, ne sont pas indemnisés au titre de la faute inexcusable. Il faut savoir que le calcul réalisé par la sécurité sociale repose sur une logique forfaitaire de solidarité nationale. Il est bien moins favorable que celui appliqué dans le cadre de la réparation intégrale. Cette différence de traitement est connue depuis longtemps et critiquée par les professionnels qui accompagnent les victimes. Il faut espérer qu'une prochaine réforme permettra d'unifier le traitement des victimes d'accident, quelle qu'en soit l'origine.